Le Triumvirat
Une fois le vaisseau reparti, je suis allé trouver Freeks pour
lui demander s’il avait trouvé quelque chose d’intéressant dans
le mausolée. Il me répondit qu’il y avait trouvé une elfe en
train de danser, probablement pour effectuer un rituel magique
puisque cela avait eu pour effet de le plonger dans l’inconscience.
A son réveil, l’elfe n’était plus là. En explorant rapidement,
il avait vu que l’un des sarcophages était ouvert, comme si
quelque chose en était sorti. Pour le coup, je regrettai de ne pas
avoir été avec lui car il semblait que de la nécromancie y était
à l’oeuvre.
Le retour vers la cité (vivante) des elfes ne dura que quelques
heures. Rudolf dû rester loin de la cité à cause de son tauruk,
mais il observa tout à travers les yeux de son renard qui continuait
d’accompagner Freeks.
La cité des elfes est entièrement bâtie dans les énormes
arbres de la forêt, leurs pouvoirs ayant modelé les branches pour
former des chemins et des plateformes reliant les différents
bâtiments. La cité est très belle, mais il ne faut pas avoir le
vertige.
A notre arrivée, nous fûmes accueillis par Asha, l’un des
membres du triumvirat, qui nous félicita d’avoir ramené le Coeur
de la terre avec nous. Lorsqu’elle vit Nuada, elle l’informa
qu’il faudrait recourir à un rituel pour extraire le noyau
d’énergie de son corps. Ce rituel allait demander plusieurs heures
de préparation, ce qu’elle pourrait faire pendant le procès
d’Elinthar. Je fus un peu surpris d’apprendre que ce dernier
allait être jugé par ses pairs, me demandant quel crime il avait
commis. On m’expliqua que c’était pour avoir violé
l’interdiction de poser le pied sur le sol de la cité abandonnée,
quand bien même il s’agissait d’un accident.
Chacun vaqua à ses occupations en attendant le début du procès
qui n’allait pas tarder à commencer et qui serait présidé par
Ansem, un autre membre du triumvirat. Pour ma part, je restai à bord
du vaisseau afin d’observer la préparation du fameux rituel visant
à extraire le Coeur de la terre du corps de Nuada. Je n’ai jamais
été très adepte des procès, surtout publics, et même si j’avais
une certaine sympathie pour Elinthar, dans le fond je ne savais rien
de lui ni des traditions de son peuple, si bien que je ne pensais pas
lui être d’une grande aide. L’elfe vint cependant me trouver
juste avant le début du procès. Puisque nous étions toujours
incapables de nous comprendre, il me fit simplement signe de le
suivre à l’écart, ce que je fis. Une fois hors de vue, il sortit
une amulette de l’intérieur de sa tunique et me la tendit. Je
contemplai l’objet quelques instants, me demandant ce que j’étais
censé en faire. Finalement je pris le pendentif et fit mine de le
mettre autour de mon cou. Elinthar me fit comprendre par gestes que
je devais simplement le garder dans une de mes poches. Je rangeai
donc l’objet sur moi et Elinthar me fit un signe de tête avant de
s’en aller.
Je retournai donc sur le pont du vaisseau, me disant que je
pourrais toujours essayer de comprendre ce qu’était cette amulette
une fois le procès terminé. En revenant sur le navire, j’entendis
Hector et Alka’ parler des réserves d’énergies du bateau qui
avaient été sérieusement entamées par le vol stationnaire de
plusieurs jours au dessus de l’ancienne cité. Je les laissai
régler les problèmes logistiques et me rapprocha d’Asha et de
Nuada. Ce dernier était allongé sur une table et vêtu d’un
simple pagne, tandis que l’elfe Shosara enduisait son corps de
divers onguents et décoctions et lui faisait boire plusieurs
potions. Un simple regard astral me permit de voir que ces
préparations étaient étonnamment complexes, impliquant une dose de
magie. J’en discutai avec Asha qui, heureusement, parlait le nain.
Elle me confirma mon analyse, m’expliquant qu’il s’agissait du
résultat de plusieurs mélanges alchimiques avec des enchantements
de sorcellerie et d’élémentalisme. Elle se retourna ensuite vers
Nuada pour lui faire boire une dernière potion, lui indiquant qu’il
allait très certainement perdre connaissance pour ne se réveiller
qu’après le rituel. L’elfe bu et ne tarda effectivement pas à
sombrer dans l’inconscience tandis qu’Asha terminait les
préparatifs.
Le procès s’est terminé au milieu de la nuit. Alors qu’Asha
appliquait les derniers onguents, j’ai vu Elinthar arriver sur le
navire, accompagné par les membres de notre groupe qui avaient
assisté au procès ainsi que quelques gardes elfes qui repartirent
une fois tout le monde à bord. Je vais vous résumer ce qu’on m’a
raconté du procès. Il était présidé par Ansem, membre du
triumvirat, qui, après avoir énoncé les faits reprochés à
Elinthar, a suggéré d’appliquer sans tarder la peine prévue :
la mort. Omario, le tsrang, n’en entendait pas de cette oreille et
a pris la défense de notre compagnon devant l’assemblée. Après
son argumentaire, Ansem a décidé que l’issue du procès serait
déterminée par un duel entre Omario et une championne elfe. Les
deux se sont affrontés vaillamment et notre compère reptilien en
est sorti vainqueur. Ansem a alors consentit de mauvaise grâce à
laisser la vie sauve à Elinthar en le condamnant malgré tout à
l’exil ; plus précisément : à partir avec nous dès le
lendemain.
Que pensait le principal intéressé du jugement rendu ? Je
l’ignore encore aujourd’hui ; c’est toujours difficile de
savoir ce que pense un elfe quand il s’agit d’autre chose que du
mépris. J’imagine qu’il était soulagé d’être encore de ce
monde, mais j’ignore comment il a pris son exil forcé. Avait-t-il
une famille qu’il était ainsi contraint de laisser derrière lui ?
Je ne savais pas, et je ne pouvais même pas lui poser directement la
question.
Concernant le duel avec la championne, j’ai entendu murmurer
que celle-ci aurait pu être empoisonnée ou droguée avant le combat
car même Elinthar semblait étonné de son apparent manque de
vigueur. Cependant, droguée ou non, il semble que le combat ait été
intense, et ayant pu constater auparavant les talents d’escrimeur
du tsrang je suis enclin à penser que la championne elfe restait un
adversaire à ne pas sous-estimer.
Notre départ était donc prévu pour le lendemain juste après
le rituel, et Elinthar allait faire partie du voyage. Quelque part ça
me faisait un point commun avec lui : je n’étais pas le seul
à me retrouver embarqué dans cette aventure de manière plus ou
moins forcée. L’elfe revint d’ailleurs me trouver pour me
réclamer l’amulette qu’il m’avait confiée avant l’audience.
Je voulu l’interroger pour savoir ce qu’elle était et
représentait, mais tous les autres étaient déjà partis se coucher
et il n’y avait personne pour servir d’interprète. Je me
contentai donc de lui rendre l’objet qu’il reprit en me
remerciant d’un signe de tête.
Le rituel d’extraction était prévu à l’aube. Nous fûmes
conduits sur une plateforme circulaire au centre de laquelle était
disposé Nuada, toujours inconscient. Asha se trouvait près de lui
et quelques gardes elfes se tenaient en bordure. Dès que les
premiers rayons du soleil éclairèrent la plateforme, Asha commença
son incantation. Le corps de Nuada s’éleva de plusieurs mètres
dans les airs, se mis à briller et on vit le Coeur de la terre
commencer à en sortir, comme s’il suintait par les pores de sa
peau.
Alors que le noyau d’énergie se formait peu à peu, nous vîmes
Ansem arriver, accompagné de trois gardes. Il dit quelque chose aux
gardes présents et trois d’entre eux quittèrent la plateforme, le
dernier se contentant de répondre quelque chose en elfique. Elinthar
interpella ceux qui partaient, ce qui provoqua un bref débat entre
les trois gardes. Finalement, l’un des trois resta et les deux
autres s’en allèrent.
Je reportai mon attention sur le rituel : le noyau d’énergie
flottait désormais dans les airs, et Nuada redescendait lentement
vers la plateforme. Alors qu’il atteignait le sol, le me rendis
compte qu’Ansem se trouvait juste derrière Asha, toujours
concentrée. Plusieurs choses se produisirent alors en même temps.
Ansem commença une incantation que je reconnus comme étant du
domaine de la nécromancie, même s’il s’agissait d’un sort que
je ne connaissais pas. Avant que je puisse prévenir mes compagnons,
l’elfe sortit une dague et poignarda Asha dans le dos. D’énormes
ronces se dressèrent alors tout autour de la plateforme. Nul besoin
d’être mage pour deviner qu’elles n’avaient rien de naturel :
ces ronces avaient la couleur du sang et gouttaient d’un liquide
écarlate. Au même moment, un flash lumineux émana du centre de la
zone, révélant deux individus : un orque et un nain. L’orque
était vêtu d’une armure de cuir noir et avait la peau grise et
des yeux oranges qui ressortaient beaucoup sur sa personne très
sombre. Le nain, quant à lui, avait les cheveux d’un roux
flamboyant et une belle cotte de maille. Tout deux possédaient un
marteau de guerre qui semblait identique.
Un bref moment de stupeur accompagna l’apparition des deux
énergumènes. Ces deux derniers jetèrent un œil à la ronde tandis
que tout le monde les fixait, puis ils se mirent à se chamailler.
Tout le monde sembla retrouver ses esprits à ce moment là.
Ansem, tenant le corps d’Asha d’une main, une dague ensanglantée
de l’autre et encadré par les trois gardes qui l’accompagnaient,
parla d’une voix qui couvrit la dispute des deux derniers
arrivants :
-Si certains d’entre vous veulent partir, c’est maintenant ou
jamais… dit-il d’un ton menaçant.
Alors que la plupart d’entre nous s’apprêtaient à tirer les
armes et que je commençais à tisser un sort, l’un des deux gardes
elfes présents au début de la cérémonie se plaça devant nous.
-Partez ! lança-t-il. Vous n’êtes pas de taille.
Allez-vous en !
Il tira ses armes et fit face à Ansem. Je remarquais que son
comparse, celui qui était resté après qu’Elinthar l’eut
interpellé, avait mis un genou à terre en signe de soumission.
Elinthar, justement, semblait d’avis de partir et nous poussait
vers la sortie. Nous récupérâmes le corps de Nuada et nous
dirigeâmes vers le vaisseau, suivis par le nain et l’orque. Ces
deux derniers ne savaient pas où ils étaient, mais ils avaient bien
compris que la situation sentait le vinaigre.
Alors que nous quittions la plateforme, je jetais un regard en
arrière. Le garde qui s’était opposé à Ansem était soulevé
dans les airs par une ronce sanglante entortillée autour de son cou
et se débattait de plus en plus faiblement. Ansem était apparemment
en train de chercher quelque chose sur le corps d’Asha, mais au vu
de son expression il ne trouvait pas ce qu’il voulait.
Ansem semblait être un puissant nécromant. J’aurais sans
doute pu apprendre beaucoup de choses de lui mais il ne m’inspirait
absolument aucune sympathie, ni par sa personne ni par ses actes. De
plus, je n’avais pas l’intention de me retrouver pris dans un
coup d’état et les problèmes politiques des elfes pour lesquels
je ne me sentais que très peu concerné.
Une fois sur le bateau, nous criâmes à Alka’ de mettre les
voiles sans tarder. Celle-ci grogna quelque chose à propos du feu
élémentaire qui risquait de manquer avant d’ordonner de préparer
le départ. Ceci fait, elle fit remarquer qu’il manquait Bertha, le
troisième membre de l’équipage avec Alka’ et Grimsha. Omario
partit voir dans la cabine de cette dernière et revint quelques
instants plus tard.
-Elle est là, Bertha, dit-il en pointant du doigt par-dessus son
épaule.
Sauf que derrière lui se tenait un second Omario, identique en
tout point au premier.
-Qu’est-ce que… fit Omario numéro un en se retournant et en
découvrant son double.
Bien évidemment, les deux versions du tsrang se défièrent du
regard et commencèrent chacune à affirmer qu’elles étaient le
seul et unique Omario. A première vue, impossible de les
différencier… sauf en vision astrale. En utilisant ma vision
magique, je pus voir très clairement que l’un d’entre eux était
en réalité un amas de tendons, d’os, de chair et de muscles qui
ne cessaient de se tortiller. Je pointais donc l’imposteur du doigt
et Nuada, qui avait repris ses esprits et devait posséder lui aussi
une autre forme de perception, fit de même.
Le faux Omario, se sachant démasqué, se jeta soudainement sur
l’elfe en poussant un hurlement et en faisant jaillir des griffes
au bout de ses doigts. Je pourrais vous faire le récit du combat qui
s’en suivit, mais il n’y a en vérité pas grand-chose à en
dire. La créature était seule contre tous et elle ne survécu pas
longtemps à l’avalanche de coups et de sorts qui s’abattit sur
elle. La silhouette d’Omario disparu au profit de l’amas de chair
que j’avais perçu en vision astrale, et tandis qu’elle agonisait
la créature tenta vainement de prendre la forme de tous ceux qui
l’entouraient. Finalement, son corps fut jeté hors du navire et
alla s’écraser sur le sol de la forêt.
Les manœuvres de départ reprient sur le navire, l’un d’entre
nous remplaçant la défunte Bertha. J’en profitai pour interroger
brièvement l’orc et le nain fraîchement débarqués dans cette
histoire. Ils se présentèrent comme étant Grims (l’orque) et
Turalyon (le nain), des explorateurs occupés à chercher des
matériaux précieux dans une grotte jusqu’à ce qu’ils se
retrouvent soudainement ici sans savoir pourquoi. D’après eux,
cette grotte se trouvait en Terra, pourtant assez éloignée d’ici.
Notre conversation fut interrompue par le mouvement du navire qui
décollait enfin. Alors que nous quittions la plateforme d’amarrage,
nous vîmes les ronces sanglantes s’étirer depuis les arbres et
tenter d’agripper la coque du vaisseau. Elle ne parvinrent
cependant pas à s’y accrocher et le navire commença à s’éloigner
de la cité.
Nous nous regroupâmes autour d’Elinthar afin de l’interroger
sur cette histoire. Il nous apprit que le collier qu’il détenait
(celui qu’il m’avait confié le temps du procès) appartenait à
Asha. Chacun des membres du triumvirat en possédait un identique, et
une fois réunis les trois colliers forment un puissant artefact
magique. Avant le procès, Ansem avait demandé à Elinthar de voler
celui d’Asha en échange d’une remise de peine. L’elfe, loyal,
en avait parlé à Asha et cette dernière avait alors soupçonné
Ansem d’être responsable de la disparition du troisième membre de
leur conseil (j’ignorais jusqu’à ce moment qu’un des membres
du triumvirat avait déjà disparu). Par précaution, elle avait
confié son collier à Elinthar afin de l’éloigner de la cité et
donc d’Ansem.
Examinant l’amulette avec ma vision astrale, je fus surpris de
constater que celle-ci possédait une architrame (que seuls possèdent
normalement les êtres vivants), mais aussi deux liens se dirigeant
vers deux objets se trouvant à la cité des elfes que nous venions
de quitter. Ces liens puissants pouvaient sans nul doute permettre de
lancer des sorts à distance par leur biais et pouvaient permettre à
Ansem de nous localiser tant que nous restions trop près.
Heureusement, le vaisseau s’éloignait rapidement des terres
Shosara et il ne fallut pas longtemps pour que nous soyons hors de
portée.
Ne risquant plus de se faire flécher à vue, Rudolf se rapprocha
sur le dos de son tauruk et se laissa glisser sur le pont du navire
pour nous rejoindre. Alka’ vint ensuite nous trouver pour nous dire
que le vaisseau manquait de puissance pour atteindre le royaume de
Throal et que nous allions devoir nous laisser dériver. Trois
options s’offraient à nous : nous diriger vers Iopos (la cité
des mages) ou bien vers Port-aux-ruines ou essayer de franchir le
Bois de sang qui se trouve entre les deux. Presque personne n’était
favorable à cette dernière proposition. Pour ma part je votai pour
la cité des mages, de même que Freeks et Hector, mais c’est
Port-aux-ruines qui emporta le suffrage. Le vaisseau mit donc cap
vers le sud-est et commença à dériver.
Pendant les deux ou trois jours qui suivirent, le vaisseau perdit
petit à petit de l’altitude. Je profitai de ce temps là pour
interroger Rudolf qui semblait bien connaître les créatures du
monde. Je lui montrai mon grimoire et mon glaive en lui demandant
s’il savait de quelle créature provenaient le cuir et l’os que
j’avais utilisés. Après les avoir examinés un moment, il
m’informa qu’ils provenaient certainement d’un drake, un être
créé par des dragons qui pouvait prendre aussi bien une forme
draconique qu’une forme humanoïde standard. Je savais donc enfin
quelle était cette créature imprégnée de magie. Rudolf ne pouvait
pas me dire grand-chose de plus à propos des drake, si ce n’est
que ces derniers étaient généralement des êtres intelligents et
avaient un nom comme vous et moi. Du coup, je me demandai quel était
le nom de celui dont je m’étais servi pour fabriquer mes
artefacts.
Après avoir dérivé pendant trois jours, nous arrivâmes en vue
de Port-aux-ruines. Il s’agissait d’une cité construite à la
hâte par tous les aventuriers et chasseurs de trésors qui s’étaient
rassemblés là afin d’explorer les ruines de Parlainthe qui se
trouvaient juste à côté. De ce que j’en savais, Parlainthe était
une cité Terranienne qui avait tenté d’échapper aux Horreurs en
se réfugiant dans l’oubli. Les mages de la cité avaient lancé un
puissant sort destiné à faire oublier à tous l’existence de la
ville. Le sort n’avait marché qu’en partie : tout le monde
avait oublié l’existence de la cité comme prévu… sauf les
Horreurs, qui étaient la cible principale. La cité avait donc été
dévastée dans l’indifférence générale et celle-ci n’était
réapparue que depuis une dizaine d’années, lorsque le sort
d’oubli s’était finalement dissipé. Les aventuriers de tous
poils s’étaient alors rués vers l’immense cité ravagée,
espérant y trouver d’ancien trésors, mais il paraît que des
Horreurs vivent encore cachées dans les ruines de la ville.
C’est donc là qu’Alka’ réussit à poser le vaisseau sans
trop de dommages alors que ce dernier perdait de plus en plus
d’altitude. Il fallait maintenant trouver de quoi alimenter le
navire, ou bien un autre moyen de regagner Throal.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire