La cité abandonnée des elfes de Shosara (suite)
Progresser dans cette forêt n'était pas chose
aisée, pas tant à cause de la végétation touffue et des racines
proéminentes qu'à cause de l'épaisseur de l'air. C'était un peu
comme marcher dans un lac avec de l'eau jusqu'au cou. Ajoutez à cela
la difficulté à respirer correctement et la pénombre due à
l'épaisseur du feuillage qui empêchait le soleil de passer et vous
aurez une assez bonne idée de ce que c'était. Heureusement, la
clairière n'était pas très loin.
-Dites, pourquoi les elfes du bateau ne viennent pas
? demandais-je à Alka'. Ils sont armés pourtant.
-Ils veulent pas, c'est un lieu tabou pour eux, ils
ont pas le droit d'y poser le pied. C'est pour ça qu'ils veulent
qu'on y aille à leur place.
-Pour faire quoi, d'ailleurs ?
-Pour récupérer une sorte de noyau d'énergie
magique. Je sais pas exactement ce que c'est, mais peu importe : on
leur ramène ça et ils nous foutent la paix, c'est le marché. On
arrive.
La végétation s'éclaircissait rapidement pour
s'arrêter totalement quelques dizaines de mètres plus loin,
laissant place à des constructions dans le pur style elfique. Les
habitations, assez espacées les unes des autres, étaient tout en
courbes élégantes, avec des ornements et des décorations un peu
partout. L'endroit avait l'air propre et lisse... et vide. En dehors
de nous, je ne voyais que trois êtres vivants pointant leurs armes
dans notre direction. Ils les rangèrent dès qu'ils reconnurent la
silhouette massive d'Alka' et s'approchèrent. L'un d'entre eux, un
sylphelin, voleta autour de nous en me regardant d'un air méfiant.
-Un problème, capitaine ? demanda un tsrang habillé
de manière élégante, avec une belle armure de cuir bleue et un
grand chapeau à plumes.
-C'est plutôt à vous d'me le dire ! Ca fait plus
d'une journée que je vous attends !
Le sylphelin et le tsrang se dévisagèrent.
-Une journée ? Ca fait à peine deux heures qu'on a
quitté le vaisseau, répondit le petit être volant.
-Moi je vous dit que ça fait une journée, affirma
Alka'.
-L'endroit est imprégné de magie, osais-je, ça se
sent dans l'air. Il est possible qu'un charme temporel englobe la
zone.
Le troisième individu, un elfe, dit quelque chose
dans sa langue à Nuada, qui lui répondit. Pendant qu'ils parlaient,
je détaillais l'elfe inconnu qui, manifestement, était du même
peuple que ceux restés à bord du vaisseau. Il était très
différent de Nuada : ses cheveux étaient étranges - je n'aurais su
dire s'ils étaient tressés ou s'il s'agissait de lianes - et son
armure l'était encore plus. Outre son aspect foncièrement végétal
- elle était composée de plantes tressées -, une myriade de petits
couteaux et pointes de flèches en sortaient un peu partout.
D'ailleurs, j'ai pu constater par la suite que les couteaux
"poussaient" véritablement de son armure, indéniablement
magique.
-Il demandait qui tu es, me dit Nuada, j'ai répondu
que tu étais à bord du vaisseau et que tu es là pour nous aider.
-A bord ? Je ne me rappelle pas t'avoir vu pourtant,
dit le tsrang.
-C'est parce q...
-Peu importe, c'est un mage et il va nous aider,
c'est tout, me coupa encore une fois Alka'.
-Un mage ? Chouette, moi aussi j'en suis un ! se
ravit le sylphelin. C'est quoi ta spécialité ?
-C'est... heu... pas le moment d'en parler en
détail, tentais-je d'éluder. On pourra en parler plus tard, mais ne
vous en faites pas, si mes talents peuvent être utiles je
n'hésiterai pas à m'en servir.
Intérieurement, je me demandais pourquoi Alka' ne
me coupait jamais la parole quand ça m'aurait arrangé. Je préférais
éviter de dire que j'étais nécromancien tant que possible, pour
éviter les réactions auxquelles j'allais très certainement avoir
droit. Voyant que le sylphelin allait me questionner à nouveau, j'ai
préféré prendre les devants.
-Je m'appelle Mûndar, et vous ?
-Freeks ! clama le sylphelin en faisant une
pirouette.
-Omario Mampatti Malatesta, bretteur et maître
d'arme ! fit solennellement le tsrang qui s'inclina en faisant un
grand mouvement avec son chapeau. Et lui c'est Elinthar, mais il ne
parle pas le nain, ajouta-t-il en désignant l'elfe à côté de lui.
-Et les autres ? Ils sont où ? demanda la
trollesse.
Omario agita le bras dans une direction.
-Hector voulait explorer de ce côté, donc ils
l'ont accompagné.
En regardant autour de moi, j'aperçus une zone au
sol bien délimitée dont la terre était complètement sèche et
craquelée, ce qui était très étrange à côté de l'herbe bien
verte qu'il y avait partout ailleurs.
-C'est là qu'il est tombé, me dit Freeks.
Il désignait Elinthar, l'elfe Shosara.
-Il est tombé du vaisseau, et la terre s'est
craquelée à l'endroit où il a atterri. Les gens de son peuple
n'ont pas le droit de venir ici, normalement. Du coup, maintenant
qu'il est là, il a décidé de nous accompagner pour s'assurer qu'on
ne ferait pas de "bêtise".
Il avait dit ça avec un froncement de sourcils en
direction de l'elfe ; manifestement, il s'était passé quelque chose
avant qu'on arrive.
-C'est bien beau tout ça, mais on a une mission,
intervint Alka'. Si le temps s'écoule plus lentement ici qu'au
dehors, on devrait éviter d'en perdre trop.
Nous nous sommes donc mis en route en direction de
la tour, jetant au passage un coup d'oeil à l'intérieur des
habitations. Elles possédaient encore leur mobilier, parfois
renversé comme si les occupants étaient partis précipitamment.
Dans l'une d'elles, on a pu voir un tableau représentant un des
habitants, un elfe Shosara qui ne possédait pourtant pas du tout
l'aspect "végétal" d'Elinthar.
Ce qui m'intriguait le plus, c'était la boule
lumineuse au sommet de la tour. Tout en marchant, je me suis
concentré pour l'observer dans le plan astral. Si cette boule
brillait très fortement dans le monde physique, ce n'était rien
comparé à sa radiance dans l'immatériel. Son éclat était tel que
j'ai dû cesser immédiatement de l'observer, aveuglé par sa
brillance. Même ma vision physique en fut affectée, si bien qu'il
fallut plusieurs longues secondes avant que ma vision ne
s'éclaircisse. Durant ce bref moment de cécité, j'ai pu entendre
mes nouveaux compagnons tirer leurs armes et pousser un cri d'alerte.
Lorsque je pus enfin voir de nouveau, ils étaient aux prises avec
cinq glaiseux. Si vous n'avez jamais vu de glaiseu, imaginez
simplement un gros tas de boue de forme vaguement humanoïde et vous
aurez une assez bonne idée de ce qu'ils sont.
J'avais beau être réticent à dévoiler mes
talents, je ne l'étais pas au point de ne pas m'en servir lorsqu'ils
étaient utiles. J'ai donc sorti un petit os de ma bourse et ai
commencé à tisser mon sort autour. Alors que mon tissage prenait
forme, le sylphelin terminait le sien et un éclair de foudre jaillit
de ses petites mains pour frapper l'une des créatures. Cette
dernière se mit à poursuivre le petit mage volant tandis qu'une
autre était aux prises avec le tsrang. Ce dernier restait juste hors
de portée, aiguillonnant le glaiseu avec sa rapière. Son style de
combat était à la fois fluide, rigoureux et élégant, fruit d'un
long entraînement. Les trois autres adversaires tentaient de s'en
prendre en vain à Nuada, qui sautait et tourbillonnait dans tous les
sens tout en les perçant de sa lance. Elinthar, quant à lui, tirait
flèche sur flèche, mais ces dernières ne semblaient pas affecter
les glaiseux outre mesure.
L'os que j'avais sorti se déforma et s'étira sous
l'influence de ma magie. Lorsqu'il atteignit une taille suffisante,
je projetai cette lance squelettique sur l'un des adversaires de
Nuada. L'os enchanté transperça le glaiseu qui s'effondra, formant
un tas de sable sur le sol. Du coin de l'oeil, je vis Elinthar
hausser les sourcils dans ma direction, mais je ne m'en occupa pas.
Je pris un nouvel os et commença un nouveau tissage. Alors que
Freeks délivrait un nouvel éclair et que Nuada plantait sa lance
dans la tête d'une des créatures, une meute de loups surgit soudain
se mis à attaquer les glaiseux. Avec l'aide de ces bêtes sauvages,
il ne fallut pas longtemps pour que les tas de boues vivants ne
redeviennent d'inoffensifs monticules de sables inertes.
M'étonnant soudain de l'absence d'Alka', je me
suis retourné pour la voir approcher tranquillement l'épée au
poing, laissant plusieurs amas de terre derrière elle. Un grondement
me fit me retourner à nouveau : les loups commençaient à nous
encercler, grondant et montrant les dents. S'ils gardaient pour
l'instant une certaine distance, ils se rapprochaient petit à petit.
Nous nous regroupâmes, préparant armes et sorts au cas où ces
bêtes se jetteraient sur nous. Seul Elinthar s'approcha doucement
des loups, tendant une main vers l'un d'eux tout en murmurant des
choses en elfique. Il laissa le loup le renifler et, après un
moment, ce dernier frotta sa tête contre la paume de l'elfe. Les
autres loups avaient cessé d'avancer et de grogner. La situation
semblait donc s'arranger lorsque, soudainement, tous les loups
déguerpirent, apeurés. Un instant après, une ombre imposante et un
puissant battement d'ailes nous surplombaient, et Elinthar couru se
réfugier dans l'une des maisons abandonnées en poussant un cri de
terreur.
Il faut avouer que la créature volante avait de
quoi effrayer : faisant pas loin d'une dizaine de mètres de long et
le double d'envergure, une peau rouge et jaune qui brillait à la
lumière du soleil et de la tour, un bec énorme garni de dent
pointues et surmonté d'une crête osseuse, il ne faisait aucun doute
qu'il s'agissait un prédateur redoutable. Passant au dessus de nous,
la bête fit un virage dans les airs et nous pûmes apercevoir alors
une personne sur son dos. La créature battit des ailes pour freiner
son vol et, après une dernière manœuvre, se posa au sol juste
devant nous. Pendant un instant elle fit mine de nous attaquer, mais
un ordre lancé par la personne sur son dos l'arrêta. Le cavalier
glissa alors du dos de sa monture jusqu'au sol et y déposa l'animal
qu'il tenait dans ses bras, un genre de petit renard à trois queues.
-Je vous avais dit que j'y arriverais ! lança-t-il
en s'approchant.
Mes compagnons rangeaient leurs armes et
s'avançaient pour le saluer. Visiblement, ils le connaissaient.
Tandis qu'ils parlaient entre eux, Freeks m'expliqua que le nouvel
arrivant faisait partie de leur groupe pendant le trajet. Lorsqu'ils
avaient été attaqués par le tauruk - la créature volante juste
devant nous - ils avaient réussi à s'en défaire mais Rudolf - le
cavalier - avait refusé qu'ils achèvent le monstre, préférant
essayer de le dompter. Il était donc resté en arrière avec la
créature afin de la dresser et, manifestement, il y était parvenu.
J'étais très impressionné par la performance de
ce Rudolf. Si le bonhomme ne payait pas vraiment mine avec ses
cheveux qui commençaient doucement à grisonner et ses vêtements un
peu miteux, il était indéniable qu'il s'y entendait avec les
animaux et autres créatures plus monstrueuses. Je me dis qu'il
faudrait que je parle avec lui à l'occasion : peut-être saurait-il
me dire de quelle créature proviennent l'os de mon glaive et le cuir
de mon grimoire.
Nuada se dirigea vers la bâtisse où s'était
réfugié son homologue elfe et, au bout de quelques palabres,
parvint à le convaincre de sortir de sa cachette, non sans qu’il
garde une certaine distance de sécurité et sans jamais quitter la
créature des yeux. De ce que j'ai pu saisir, le tauruk est une
créature presque mythique pour les Shosaras, et tous les enfants de
ce peuple apprennent à la craindre.
Nous rappelant que le temps à l'extérieur de la
zone filait plus rapidement et pour éviter le courroux d'Alka' qui
recommençait à taper du pied, nous repartîmes non pas en direction
de la tour mais vers un cimetière qu'on apercevait plus loin à
gauche. Avec un peu de chance, les inscriptions sur les tombes
pouvaient nous renseigner sur l'époque à laquelle cette ville était
habitée. Alka' protesta contre ce détour, mais elle accepta de
mauvaise grâce après qu'on lui eut assuré qu'on ne s'y attarderait
pas.
Pendant qu'on se dirigeait vers le cimetière,
Rudolf fit le tour des remparts sur le dos du tauruk et nous apprit
que ce dernier refusait de pénétrer dans l'enceinte, sans doute à
cause d'un champ de force magique repoussant les créatures touchées
par la corruption des Horreurs.
Le cimetière était assez grand, signe que la
ville avait été habitée pendant de nombreuses décennies. Les
tombes étaient propres et bien rangées, et plusieurs mausolées se
dressaient ici et là. Grâce aux dates inscrites sur les stèles, on
put déterminer qu'elles dataient toutes de plusieurs siècles, soit
d'avant le Châtiment. On s'attarda brièvement devant le plus grand
mausolée du cimetière dans lequel on pouvait pénétrer par un
escalier. Pendant qu'Elinthar et Nuada déchiffraient les
inscriptions qui ne nous apprirent rien d'utile, Freeks nous incitait
à entrer dans le mausolée, visiblement motivé par sa curiosité.
Le temps n'était cependant pas de notre côté, alors nous sommes
repartis du cimetière. Le sylphelin décida néanmoins d'aller voir
à l'intérieur du tombeau et Rudolf envoya son étrange renard lui
tenir compagnie tandis que le reste du groupe se dirigeait vers un
pont permettant de franchir les douves que l'homme avait repéré
lors de son survol.
Ouiiiiiiii
RépondreSupprimer(Pardon, je n'ai trouvé que ça pour manifester ma joie ^^)
Ca me va :p
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